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1000 signes

La critique d'art
peut-elle se passer
de mots ?

 

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Renaud Auguste-Dormeuil

Je pense à Ratatouille, revois le rat qui s’affaire en cuisines. De l’autre côté, en salle, le critique se passe de mots. Terrible silence. Approbation ou désapprobation (question ainsi soulevée par le film) ? Il ne s’agit pas (encore) de critique, sinon, en amont, d’un jugement. La critique naîtra avec le mot du critique. 

Mais critique, ou review ? Je me dis : la critique ne devrait-elle pas se passer des mots, si par « mots » on entend informer, divulguer ou opiner, se passer le mot ? Me vient la question de ce que l’on met dans la critique d’art, comme le rat dans son bouillon. Pas l’opinion ou la description, mais cela qui donne à la critique son sel, l’exercice critique, réflexif, qui la distingue du jugement. 

Je m’interroge : la critique peut-elle se passer de maux ? Le·a critique d’art ne vise-t-il.elle pas d’abord à provoquer l’esprit critique de son.a récepteur·rice ? Susciter, mettre la critique à l’exercice. La critique ne se jouerait alors pas dans le mot sinon la pensée.

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Claire Kueny

04 - Vincent LABAUME - LIVING BOOK, Vincent Labaume, performance pour le Festival Cinémarg

 

Vincent Labaume

Il est difficile de faire une critique d’art sans utiliser des mots, puisqu’ils sont l’outil principal de notre analyse et interprétation d’une œuvre. Toutefois, qu’il n’y ait pas de mot ne signifie pas qu’aucun langage ne soit en jeu… 

La critique d’art peut prendre différentes formes, celle d’une performance, d’un film, d’une vidéo, d’une image, d’un son, d’un podcast, d’une interview publique, d’une conversation, d’un moment, d’une archive, d’un geste ou encore d’un engagement où les mots, même s’ils ne sont pas perceptibles, restent sous-jacents.

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Voici pour exemple une des images que m’a fourni l’Intelligence Artificielle en réponse à la question « La critique d’art peut-elle se passer de mots ? »

Aussi je m’interroge à quoi servira la critique d’art, avec ou sans mot, produite par l’IA ?

 

Isabelle de Maison Rouge

Pour s’opposer aux objets d’art qui s’accrochent comme des trophées au- dessus de la cheminée, un(e) critique d’art peut se mettre à l’œuvre sans rien avoir à écrire.

À la galerie de Michèle Didier, P.Nicolas Ledoux nous présentait des Impressions sur papier. Chaque soir l’une d’entre elles était passée à la broyeuse et constituait une nouvelle œuvre faite de rognures dans un sac en plastique : une Impression-suicide.

En 2016, Michèle Didier procède au suicide d'une œuvre de P.Nicolas Ledoux. Photo _ Jacque

En 2016, Michèle Didier procède au suicide d'une œuvre de P.Nicolas Ledoux. Photo : Jacques Salomon

J'en ai acheté une que j'ai immédiatement jetée dans une poubelle pour exprimer un vrai suicide de l’œuvre. 

 

Ensuite, j’ai donné un développement insolite à ma critique en proposant à la vente mon impression-suicide qui est, aujourd’hui, disséminée dans l’univers sous la forme de triviales poussières. 

 

C’est Bérengère de Thonel d'Orgeix qui l’a achetée pour sa collection constituée d’œuvres détruites et qui ont disparu. 

 

Ma position de critique d’art a donc été d’analyser une œuvre d’art en adoptant une conduite qui l’a rendue

beaucoup plus juste.

 

Ghislain Mollet-Viéville

Je rêve d’une critique d’art qui serait comme une assemblée de quakers dont la seule croyance commune résiderait dans la possibilité de penser l’art. 

Dans le culte quaker non programmé, on se rassemble dans une pièce sobre, et on demeure assis·e en silence, dans l’attente qu’il se passe ce quelque chose si mystérieux, que l’on pourrait peut-être appeler révélation. Alors, une personne peut se lever et s’autoriser à parler et à témoigner de ce souffle qui doit avoir une puissance telle qu’il faut oser briser le silence commun. Mais il peut tout aussi bien ne rien se passer lors de ces assemblées qui ne sont soutenues ni par le support visuel, ni par le support textuel. 

Et je rêve d’une assemblée de quakers-critiques d’art qui pourraient être rassemblé·es là. Au bout d’une heure, personne n’aurait osé prendre la parole, et chacun·e saluerait son voisin ou sa voisine et regagnerait ses pénates, fort·e d’une expérience troublante de lenteur et d’humilité.

 

Camille Paulhan

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Amélie Pascutto

 

Gauthier Kriaâ

Les sources régénératives du silence

Longtemps, des phrases m’ont traversé. Aujourd’hui, cette poésie s’est tue, certainement parce que je ne me trouve plus dans la « disposition » nécessaire pour l’accueillir… Mais alors, quelle est la consistance de ce silence, et de quelle manière s’articule-t-il avec la création ? Le silence est la source de l’écoute (donc de l’expression), un temps d’imprégnation et de respiration. Un moment de régénération où se concentrent le flux des phrases et nos énergies vitales. Telle est la condition de l’écriture. Alors, peut-on se passer des mots quand on est critique ? Je ne le crois pas, même si tout commence par ce temps d’imprégnation, de disponibilité et d’écoute qui nous fait entrer en dialogue avec l’œuvre. Comme les matières que pétrissent les artistes, on apprend vite que les mots ont leur propre caractère et leurs vertus. Ils ont une épaisseur, une subsistance, et nous ne sommes que l’oreille qui sait les accueillir et les retranscrire, tels des scribes ou des messagers – rien de plus – pour les voir s’épanouir. Cela passe par un temps, celui du silence, et via les interstices dans lesquels s’immiscent subrepticement l’art et la poésie, aux revers d’une gesticulante société cacophonique. Un ange passe… et nous brassons du vent.

Cafouillons

 

« Ce serait trop peu dire que je ne suis pas sûr… Il est des moments de la création où l’on se sent comme bousculé par la grêle… L’on ne peut dire que… On ne peut dire non plus… Je ne dis pas qu’il en est de même… Quand je dis… non : plutôt…

Que je le dise à présent: c’est répondre à une tentation… que d’accepter de parler ou d’écrire à propos de…

L’on est à peu près… assuré de verser illico dans… le cafouilleux. 

Y a-t-il des mots pour…?… Évidemment, on peut parler à propos de tout. Mais à ce compte, il y a des mots pour tout, et il n’y a de mots pour rien… 

N’en dirais-je qu’une chose, ce devrait être… 

Mais entrons plus avant dans le jeu. Cherchons des mots. Engageons sérieusement la partie… 

Disons-nous à présent… Nous l’avons dit : il serait vain de tenter d’exprimer par le langage, par les adjectifs… Les adjectifs, les mots ne conviennent pas… 

J’ai parlé d’une hautaine constatation. J’ai parlé ailleurs… 

Démonstration laborieuse et pénible… Enfoncez-vous bien cela dans la tête…

Non ! Que dis-je ?…

Qu’on y songe : c’était la seule réaction possible… »

 

Francis Ponge 

(Note sur les…/ une proposition de lecture de Vanessa Morisset)

 

François Salmeron

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Clare Mary Puyfoulhoux

« Tout parle, sauf l’être », écrivait Bernard Noël. La critique est un animal qui a peur. Peur de parler. Peut-être parce qu’il y a la peur au fond de tout langage. Alors elle pense qu’en changeant de médiation elle changera sa nature, qui est d’avoir peur, qui est de se tenir dans l’écart et l’incertain. Dans la forêt des signes elle voudrait effacer ses traces. Alors elle s’invente des histoires, des stratagèmes, des rêves pour tromper sa peur. Elle voudrait fuir sa bêtise, la bêtise de tout discours, elle, la bête qui voudrait parler pour se taire, n’être ni discours second ni discours premier, oublier sa nature hybride de création et de commentaire. Elle est une bête qui veut changer de forme.

Transposition, glissement, substitution, métamorphose, telle est la logique du rêve. La forêt bruisse, parle mille langages, la forêt brûle, et la critique s’imagine comme le Chat du Cheshire, apparaissant disparaissant, parlant par énigme pour désigner un monde magique. Et dansant sur la tête.

Alice aux Pays des Merveilles - Extrait - Le chat du Cheshire I Disney

1001 signes (comme les nuits)

 

Lucien Raphmaj

12 - Suzanne Silver, photogramme d’après sa sculpture en acier d’une phrase-diagramme phot

Suzanne Silver

La critique d’art est loquace. Elle adore les mots. Je crois qu’elle aurait beaucoup de mal à se passer de mots. Je ne suis pas sûre qu’elle puisse se passer de mots. Je ne pense pas qu’elle doive se passer de mots. En revanche, elle pourrait carrément se passer de certains mots. Elle pourrait arrêter tout net de jargonner. Mais ce n’est pas facile de lutter. Je fous le jargon à la porte, il revient par la fenêtre. Il est sournois, il est roublard, il est rusé. Il pense à ma place. Je le connais bien. J’écris, concentrée, rien ne compte plus que les mots. J’écris, je relis et paf, il est là, comme le renard au milieu du poulailler. Il fait un massacre. Ça s’articule, s’incarne, conteste, convoque, envisage, réactive, détourne, dénonce, énonce, explore, témoigne, traduit... Il est sournois, dis-je. Il faut agir. Paf j’élimine, paf je retranche, paf je supprime. Je blackboule aussi la voix passive. J’engage une lutte qui rend l’écriture vivante.

Donner à voir

En comparant   

Et donner à voir les outils et la manière de faire la comparaison   

S'exposer en proposant une comparaison   

Choisir   

De s'exposer   

Et donner les moyens à celleux qui voient   

De répondre   

De la même façon.


 

En accompagnement, je joins l'acte à la parole, avec des vues de mon accrochage critique des collections du LAAC à Dunkerque en 2022 (Dans «   Comme de longs échos...   » ) qui entrecroise 6 œuvres personnelles et 4 œuvres de mon choix dans la collection, en jouant sur la taille des peintures, sur les gestes picturaux et graphiques, les couleurs et la matière des œuvres, ainsi que sur l'axe des regards et des murs, des juxtapositions et des face-à-face. Dans le même espace, Charlotte Denamur (au sol) dialogue avec une œuvre diptyque de Noël Dolla (suspendues).

Maxime Thieffine

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Camille Viéville

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