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variation

On peut sans doute dire de l’artiste qu’il puise dans le réel les éléments de son travail. Certains relèvent parfois des idées ou des concepts ; d’autres, de façon plus évidente, répondent de substances inertes et élémentaires, de matériaux dont on suppose, en étant préalable à toute intervention, qu’ils sont sans forme ni contour. D’autres encore vont à l’encontre du défaut de détermination, en investissant le caractère de ce qui est chose ou objet. La notion de « matériel » joue de ces ambiguïtés en décrivant, par exemple, l’outil et, simultanément, ce qui sert à être façonné par cet outil. Or, s’il revient aux artistes de requérir du « matériel », dans l’optique de produire et de fabriquer, de penser et de questionner, qu’en est-il des critiques d’art ? Quel serait leur matériel ? À la manière d’une enquête un peu facétieuse et en donnant carte blanche, nous avons posé la question à quelques critiques. 

Quel matériel pour la critique d'art, en 1000 signes ?

Parfois je rêve des lunettes fakir de Daniel Spoerri.
Les indispensables : un petit carnet, des mélodies qui se répètent*, du temps qui passe (écriture rapide mais fermentation lente). 
Ce temps, je le récupère à la piscine, dans le train, dans le bus que j’emprunte beaucoup à Paris comme à Bayonne, dans le métro, en écoutant mes élèves parler, en attendant mes livres à la bibliothèque, en rêvant la nuit et en observant le jour. 
Je travaille en nageant parce que je m’ennuie dans l’eau. 
Je travaille dans le train car je ne m’ennuie jamais lorsque je suis dans un véhicule en locomotion. 
Janvier 2018 : la perte de mon petit carnet rouge me plongea dans une mélancolie délicate. 
* Passer de l’amour au dégoût pour digérer au mieux le texte. 

Camille Paulhan

Mon matériel, c’est moi. Et ce qui le constitue ; traversé qu’il est par des visions, son histoire, des cultures ou encore des images. 
C’est aussi s’asseoir. Tenter de s’attabler pour finalement parvenir à écrire sur le bout d’un comptoir ou à cheval sur un fauteuil.
S’asseoir, se lever, s’asseoir, se lever, tourner sur soi-même pour faire apparaître l’idée et le fil avec. 
Tout oublier, aussi.
Se diriger vers la bibliothèque : une tranche, deux tranches, puis trois - stop - une association, une correspondance ou le hasard. Ouvrir le livre et tomber sur des notes, des lignes relevées ou inconnues.
Bien sûr, il y a eu les images d’abord. Que je prenais et qui faisaient

Fanny Lambert

Il est bien connu qu’un critique d’art passe sa vie en pyjama, recroquevillé sur une chaise ou calfeutré sous sa couette. Les yeux rivés sur les écrans, 4 ou 5 livres ouverts, 14 ou 15 onglets dépliés. Augmenté de multiples prothèses, il s’équipe de dictaphones et d’écouteurs lui permettant de causer tout en pianotant sur les touches de son fidèle compagnon. Le mien s’appelle mar°, il est tout récent et upgradé du pack Office au pack Adobe, en passant par l’inénarrable Antidote. Les textes s’écrivent en Source Sans Pro, taille 11. Complice, ma police succède à Cambria, Calibri et la classique Garamond, elle organise la dynamique d’une pensée et n’est jamais négligée. Parfois je justifie, parfois non. D’autres ont la nostalgie du papier et du stylo ! Le carnet de notes colle à leur peau, une synthèse accomplie entre le cognitif et l’affectif, voire le fétichisme. Parmi tous ces supports de mémoire et d’indexation, Instagram est un outil d’exception. Avec l’application, vous trouvez l’œuvre d’un artiste disséminé dans le temps et l’espace, mais aussi le point de vue du profane qui s’est appliqué à cadrer la vue d’exposition comme pour mieux s’en saisir. Parfois on s’habille aussi, mais ceci est une autre histoire.

Marion Zilio

cntrl dit par exemple

 

Il y a des êtres matériels organisés qui se meuvent, se propagent, sont sensibles et raisonnables, et ne sont plus que de la matière lorsqu’ils sont séparés de l’âme qui les anime. 
(BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p.143)

DICIBLE
CE QUI EST LE TANGIBLE un savoir a.r.t.i.c.u.l.é. à quelque chose du cœur (vers le centre - intercostal)
QUE J’ATTRAPPE NON COMME UN OUTIL (le marteau piqueur d’une pensée mesurée) MAIS COMME UNE ARME (vigueur maline de la pensée qui [se] défend) DE SOLDAT FAIBLE ET SANS CONVICTION  parce que DADA et DEBORD, tout comme DUCHAMP (idée de pays castré)

 EN CREUX : pas les galeries, les musées, les écoles, les foires, les magazines, les ateliers
POURTANT : les galeries, les musées, les écoles, les foires, les magasines, les ateliers
surtout LE RESULTAT DE PRATIQUES – LES GESTES FAITS / A FAIRE / SE FAISANT 
finalement SEULEMENT CE QUI EST / QUE L’AUTRE A FAIT / DONT JE LE REMERCIE
jamais QUAND L’AUTRE N’A PAS FAIT – même si ça occupe l’espace et le temps

LA | FAILLE | ENTRE | PAROIS 
peaux écrans surfaces 
POUR RESPIRER ET RAMENER DE LA MATIERE A METTRE ENTRE EUX ET MOI

toute la langue qui trahit, surtout parce qu’elle trahit

Matériel
11 145 photos à ce jour […] je ne dis pas que l’ensemble a été ou sera utile, ni que toutes sont relatives à mon activité de critique mais […] sait-on jamais si elles ne serviront pas, y compris les photos de pique-niques, puisqu’il y en a eu près d’œuvres […] la vie et l’art se croisent et se recroisent tout le temps […] je les prends surtout avec mon tel, celui des autres quand ma batterie est vide […] on se les envoie, on reste en contact, parfois on se lie d’amitié […] de toutes façons, la plupart de mes photos sont moches […] je prends des détails ou des 

vues d’en-semble, les personnes présentes, les cartels, les textes […] tout photographier c’est tout voir et ne rien oublier […] indispensable pour commencer à (d)écrire […] tel dessin était scotché et non épinglé, telle forme en haut à gauche de la toile était bleu turquoise ou rouge-orangé, la performeuse m’a fait telle impression parce que […] que vais-je dire de plus ? […] ces images qui me restent de ce que j’ai vu.

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partie du contrat proposé entre moi et d’hypothétiques lecteurs. C’est avant tout une vision. C’est ce que je voulais. Une matière première. Qu’elle agisse dans la pensée, à l’écrit, dans des images prélevées, parcourues ou fictives.
Maintenant, il n’y a plus que la pensée, la langue et ces visions persistantes. L’inattendu, tout près.
Le plus strict et infernal appareil. 
C’est le temps aussi.
Le tout tressé avec la voix des artistes. 
La tête et les mains qui tentent une cohérence improbable conduisant au texte. Ecrire, au fond ? Pas de description. Un tout immatériel.
« Le lieu où tout cela n’existe pas nous dit Annie Ernaux, c’est l’écriture. C’est un lieu l’écriture, un lieu immatériel ».

Leila Simon_matos pour critique d art.jp

Leila Simon

Clare Mary Puyfoulhoux

Vanessa Morisset

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