2 minutes
papillon
Camille Bondon
Isabelle Henrion
conversation sur répondeurs
entre Isabelle et Camille
janvier - avril 2018
Après un début de conversation sur la taille standard des textes et la durée habituelle des entretiens, nous avons parlé de la plus courte performance vue récemment ensemble : Allez, allez d’Aurélie Ferruel et Florentine Guédon (2017, 1’50’’). S’en est suivie une discussion sur les rendez-vous et les modalités d’apparition, sur les cacahuètes, sur le Tour de France et l’attente du passage des coureurs, sur l’expectation qui précède les événements et la jouissance qui leur succède, pour en arriver à évoquer leur persistance dans nos cœurs...
2018_02_19_10h12.m4a
oui Camille ! euh... par rapport à la persistance ou presque la survivance des performances, ... euhm... je repense à cette exposition Des récits ordinaires de Franck Leibovici, Grégory Castéra (clics sur ordinateur audibles) puis une troisième personne dont le nom m’échappe malheureusement (1)... dont le propos était justement de dire : une œuvre existe parce qu’on en parle,... elle existe dans nos conversations... et elle a une vie à part entière via ces récits. qu’on peut en faire... d’ailleurs, j’en avais discuté avec Aurélie et Florentine (2)... et elles souhaitent que leurs performances soient... mmmh... enfin, elles ne sont quasiment jamais filmées, elles veulent que ce soit le récit, les souvenirs, forcément subjectifs, qui transmettent leurs performances. et si elles font des fois des photos, elles font des photos qui sont vraiment des œuvres à part entière, qui ne sont pas une simple documentation de la perf’ mais qui en sont une sorte d’ESSENCE, mais en composition visuelle.... et... euh... ça me fait repenser que la performance Allez allez... je t’ai dit dans un précédent message que c’était comme un cri de guerre... je me suis rappelée que l’image qu’elles en ont faite, c’est une image où l’on voit leurs deux visages avec ce maquillage, entre maquillage de foot, maquillage tribal de guerrier ou même une sorte de peinture abstraite... en fait... et c’est une photo où elles sont en train de crier,... donc je me demande à quel point c’est cette photo qui m’a fait dire que c’est un cri... donc y’a cette espèce d’interrelation entre la performance, son souvenir et l’image qui en reste et qui parfois se substitue à la fin à notre souvenir. voilà. je t’embrasse Camille. ciao.
2018_02_20_10h09.m4a
salut Izi... euhm... y’a aussi un phénomène qui se passe dans leurs pièces, .. pour moi, en fait... c’est que l’action est... mmmh... une forme d’activation ou de cérémonie d’inauguration des objets. et c’est comme si ces objets devenaient chargés,... ou imbibés... de l’événement... y’a une forme, comme ça, de rite ou de rituel d’inauguration... mmmh... comme une manière de les fêter, en fait... de les célébrer... célébrer cette sortie de formes, cette sortie de couleurs... et en fait l’action elle est là comme un rituel propre... qui vient des formes et qui retourne dans les formes. y’a une forme de... oui, de charge alors un peu mystique (sourire audible)... au Village (3) à Bazouges,... et en fait y’avait plein d’objets, qui, bon, étaient dispersés dans un premier état.... et après avoir vu la vidéo où elles les faisaient porter par des équipes de foot, des footballeurs ou de rugbymans,... d’un seul coup, y’avait cette situation-là qui était PRÉSENTE... et qui chargeait.... ces objets là, inertes. y avait la persistance qui était là dans l’espace.
2018_02_21_10h11.m4a
oui Camille. j’aime beaucoup ce que tu dis de ce double mouvement d’intériorisation et d’extériorisation, quelque chose qui vient des formes et qui y retourne dans un mouvement de va-et-vient réciproque et perpétuel... euuuuhmmmmm.... dans ce que tu dis, on dirait que les objets attendent leur activation performative ou leur célébration pour être chargés de quelque chose... moi je pense qu’ils le sont déjà, sauf qu’on n’y a pas encore accès. parce qu’ils contiennent toute l’émotion de l’expérience esthétique que les filles ont dû faire de leurs premières influences, qui sont souvent des rituels, des sculptures, des formes qu’elles observent... des gestes qu’elles observent... et qu’elles transforment ensuite par le processus de la création... je pense quueeeee.... il y a déjà quelque chose dans ces objets mais pour nous, ce n’est pas encore tangible... c’est là où la célébration est en fait un partage avec nous,.. elles viennent nous mettre dans le cercle des gens initiés. de ces objets... et là encore ça fonctionne comme une fête... y’a toujours cette histoire des cercles concentriques : le premier c’est les gens qui ont fabriqué ou organisé, qui connaissent tous les tenants et aboutissants ; le deuxième cercle, les gens qui participent, qui vivent l’émotion avec nous ; le troisième cercle, les gens qui n’étaient pas là mais qui en entendent parler et qui peuvent vivre une émotion à ce moment là. et je pense que, voilà, par cette activation, elles créent un cercle pour nous. et après les photos, les chansons qui restent dans le tête, l’exposition sans l’activation performative,... ce sont encore d’autres formes de cercles concentriques.
2018_02_22_10h57.m4a
salut Izi. euhm... j’ai dessiné des cercles concentriques... sur les histoires de... c’est quasiment des épicentres sismiques, tu vois, ce que tu décris... sur le cœur, et la source et la propagation à la fois dans l’espace, comment ça se répand... et (sourire audible) je pensais à des histoires un peu de poupées russes comme modélisation physique de ces histoires-là et à Shrek (4) et aux oignons (rire)... je me souviens qu’à un moment donné il est dans un carrosse, Shrek, et il parle de sa sensibilité... et en fait il se compare à un oignon qui a beaucoup de couches, et qu’il faut enlever les couches pour arriver au cœur... à son cœur qui est plus tendre... et... voilà. (rire) et dans ces histoires-là... d’emballage, je repensais à cette pièce, Cyrus de Mark Geffriaud (5), qui a été présenté à La Criée (6) pendant deux expos... quoi, qui était présente... à la fois j’aime bien ce récit-là et mentalement l’image que ça dessine... de ce truc... qui avait une forme précise et qui avec le temps devient un peu plus floue... tu vois.... y’a un processus d’amplification qui dissout aussi la forme.... encore une histoire de va-et-vient, où là par contre, si on ne le savait pas... bah on ne le savait pas... et ça c’est des choses qui m’embêtent un peu, qu’il faille le savoir et qu’on puisse passer à côté.
2018_02_26_10h33.m4a
oui coucou Camille. bah voilà, Cyrus c’est justement une des ces œuvres qui n’existent... euh... pour laquelle le noyau des cercles concentriques est vraiment tout petit... et en effet chaque récit, chaque documentation photo, chaque fois qu’elle est activée, c’est comme tu dis, une couche qui déforme... c’est comme la rumeur en fait ou le principe du téléphone arabe, comme tu as pu l’expérimenter avec la performance Une histoire des histoires (7). aussi. et... euh... il y a justement une photo de Cyrus, c’est une photo je crois de poche de jean qui en bombée et qui laisse croire qu’on pourrait deviner ce qu’est l’objet... qui crée du désir et du fantasme. justement... et cette notion d’emballage... ce mot que tu emploies me fait penser au packaging et donc à la communication... donc... l’artiste performeur devient presque un agent de com’ qui doit maîtriser finalement ce qu’il donne à voir, comment il suscite l’envie... euh... et voilà, Cyrus est toujours signifié dans les textes... euhm..... ça pose la question à la fois de l’attention et de l’effort qu’on fait en tant que spectateur pour accéder... pour PERCER les différentes couches de cet oignon (sourire audible) ou de ces cercles concentriques et qui nous implique justement activement dans l’existence de cette œuvre.... et moi j’ai dessiné les cercles concentriques aussi et ça fait un peu comme une cible où on tend vers le centre.
2018_02_27_09h53.m4a
salut Izi... euhm, pour Une histoire des histoires (8), justement, cette situation où on joue au téléphone arabe en public, avec des gens qui rapportent un récit... euh... bah je me vois pour chaque nouvelle situation, essayer de trouver une manière de le dire qui soit aussi une manière d’inclure l’autre, en disant : « bah voilà, toi t’es là, je te raconte un texte et puis il y a Isabelle qui va venir prendre ma place, et toi, tu vas raconter à Izi ce que tu viens d’entendre. » et du coup, j’essaie de faire projeter l’autre dans la situation … euh... réelle... euhm... je m’étais dit que la transcription de ces récits qui passent successivement de bouche à oreille, finalement c’était une bonne documentation. tu vois ? plutôt que de raconter, on peut aussi... mm... comment dire... GOÛTER un échantillon de la situation. et en fait je me suis dis, mais, ces textes-là, cette collection de textes en cascade, bah en fait, c’est une pièce en soi aussi. le texte édité est une forme et est une manière d’en faire l’expérience physique. de cette chose là. et je me rends compte que ces histoires-là de mises en récit, ou de devenir agent de communication de son propre travail, chez moi en tout cas, cela réensemence de nouvelles pièces. comme avec La présentation des présentations(8) où je demande à d’autres de me présenter. et j’ai toute cette collection avec moi pour le dire, mais depuis... depuis les langues de chacun.
2018_03_01_18h02.m4a
coucou Camille. ce qui est bien en fait dans ces éditions que tu produis, c’est que... le temps de lecture, le temps qu’on passe en fait à lire les versions successives de cette histoire, euh, qui se réduit de plus en plus, c’est que c’est un temps analogue à celui de la performance. on suit le déroulé de la performance, tout en étant actif, en fait, tout en étant impliqué par cette action de la lecture... euuuh... et on est, en plus,... on a une position qui est... des deux côtés, c’est-à-dire qu’on est à la fois du côté du public de la performance, qui est un peu complice de toi, parce qu’il connaît la première version et observe cette réduction progressive des informations... euuuuuhm... mais on est aussi du côté des rapporteurs, parce que,... pendant qu’on découvre les versions successives, on essaie de se rappeler soi-même ce qu’on se remémore en fait de cette première lecture. et donc c’est une forme d’adresse en fait... ou en tout cas une forme d’implication du spectateur qui est sollicitée aussi avec sa mémoire... tu retranscris en général en laissant les hésitations de la parole orale,... en trouvant une manière de les signifier par écrit... et du coup on s’imagine la personne, avec ses gestes, sa posture... et du coup ça, ça se rapproche un peu de la photo ou des traces d’une performance.
2018_03_02_.m4a
salut Izi. euuuh, je suis contente que tu fasses un retour sur ce que je peux produire... à la fois aussi parce que je me rendais compte que c’était avec les gens dont on était le plus proche que parfois, on n’abordait pas les choses – je sais pas, peut-être qu’on portait ça comme un acquis – mais, bref, dans tous les cas, que tu partages aussi mon goût pour, justement, une forme de transcription qui ne soit pas juste de la documentation vidéo... ou quand il y a documentation vidéo, qu’il y ait une écriture – ou en tout cas, qu’on invente une langue ou une forme pour refaire faire à distance une expérience... oui, une expérience vivante, quoi, quelque chose qui convoque des corps, quelque chose qui nous convoque dans un lieu aussi. et je pensais à ça en fait, aussi, avec par exemple, le boulot de Dominique Petitgand (9), euh... qui fait du coup que des pièces sonores. en fait j’admire son... son travail de documentation, tu vois, où il fait des petits schémas, pour..... finalement, faire des plans du lieu... tu vois, quasiment un plan de montage. ... et aussi ce travail-là aussi de la transcription audio, ... d’écrire le son... et on avait parlé ensemble que, bah, finalement, c’était « voix 1 » ou « voix 2 », qu’il ne genrait pas, par exemple, les voix. et je trouve qu’il y a une attention assez fine, justement, dans ces changements de... euh... des modes d’apparition. et....... « et j’aime beaucoup ça » (sourire audible).
2018_03_06_16h44.m4a
ouais, Camille. bah, dans ce que tu dis finalement sur les différents modes d’apparition, des œuvres, bah, ça me renvoie finalement aussi au travail du curateur ou critique, quand il donne une forme textuelle à une œuvre ou à une exposition, et comme tu parlais de Dominique Petitgand, je repensais à la Revue contée (10) que Sophie Lapalu a fait sur ce cycle d’expositions de La Criée à Rennes,.. le.. euh... Alors que j’écoutais moi aussi... (11), – voilà – où le protocole donné était donc qu’elle ne voyait pas les expositions mais qu’elle se basait sur les récits que lui en faisaient d’autres personnes pour en faire soit un texte, mais elle a choisi une forme sonore. aussi, ce qu’elle a fait, donc, surtout pour la première exposition, et que j’aimais beaucoup... euhm... ça s’apparentait à une sorte de poème un peu déstructuré au début, avec des bouts de phrases, où on ne comprend pas très bien comment tout ça se relie... si on a vu l’expo, on reconnaît des bouts de pièces par-ci par-là, mais c’est un peu énigmatique... puis elle revient sur ses mots, elle les répète, il y a des bouts de phrases qui réapparaissent, et on comprend petit à petit qu’elle a écrit un long texte sur l’exposition dans lequel elle parle de chaque pièce et qu’elle a comme replié sur lui-même, et qu’elle nous donne à voir. enfin, ça fait comme un cadavre exquis où ça génère d’autres associations, et à chaque fois, ... je ne sais pas combien de fois elle reprend le texte ... on comprend un peu mieux... c’est comme si l’exposition se déployait littéralement devant nous. .. se lissait en fait... c’est comme ça qu’elle, elle l’a vécue : en fait, c’est-à-dire, d’un gros brouhaha polyphonique où toi tu lui as fait un dessin, tout le monde parle un peu en même temps, ... du brouhaha vers la clarté de la feuille de salle à la fin. et donc elle a créé une œuvre quasiment autonome ici aussi.
2018_03_08_9h45.m4a
salut Izi. euuuhm... effectivement, ce qu’a fait Sophie Lapalu, c’est une forme d’écriture créative... même si c’est une écriture parlée... en fait, je suis hyper en attente de ça, j’ai très envie finalement de lire des textes d’auteurs ! là par exemple, je pensais, quand je t’écoutais, à Julie Portier (12)... qui a pour moi une vraie langue, cette femme... une manière d’écrire, un vocabulaire et elle a aussi une sorte de... gymnastique, tu vois, pour, justement, restituer cette temporalité de la découverte et de la compréhension d’une exposition. ... et elle se permet aussi... mmm... pas une dose d’humour, mais un truc... c’est un peu, elle te balade, et elle... elle s’amuse en fait ! ... elle prend du plaisir à écrire, et ça, pour moi, c’est délicieux en fait de lire des textes comme ça. parce que j’aimerai que dans la forme il y ait aussi... euhm... que la forme textuelle soit aussi un espace créatif et récréatif... peut-être que les choses sont tout le temps un peu trop sérieuses... et je ne sais pas si ce que nous on est en train de faire, si... c’est... si ça va dans ce sens-là, tu vois, mais en tout cas, d’essayer, d’expérimenter – euh – comme ce qu’on avait fait aussi avec Fabien et Julie, de cette Mise en mots (13) que je leur avait faite d’un de leurs dessins... comment on peut, à partir de situations courantes, produire de l’écrit, et un écrit qui soit... vivant en fait.
2018_03_20_12h23.m4a
hello Camille. euuuh... ce que tu dis par rapport aux formes d’écriture, c’est plutôt marrant, puisque j’ai décidé d’écrire, comme forme de restitution de ma résidence au Wonder (14), une nouvelle de science-fiction. parce que c’est un univers assez post-apocalyptique, donc ça fait sens et ça me permettra d’aborder autrement les problématiques que j’y ai rencontrées (gribouillage audible)... et j’ai hyper hâte de m’y mettre donc, euh, je te tiendrai au courant de l’évolution (rires) de ce projet-là (15)... euhh ... je ne sais pas si nous, ce qu’on fait actuellement comme échange, c’est plus « fun »,... on veille quand même... on a quand même en tête cette publication... au moins le format très court, ça fait peut-être que les idées rebondissent plus vite, qu’on les développe moins aussi, et qu’on laisse la place à celui qui nous écoute... ou nous lit... de s’insérer dedans, de compléter lui-même, et de participer à cette espèce de ping-pong... quiiiii.... est peut-être assez plaisant finalement – enfin je l’espère (rire)...
2018_03_21_23h04.m4a
salut Izi. euuhm. hier j’étais chez Mathilde Segonds (16), qui est une jeune autrice que j’avais rencontrée à Saint-Fons l’année dernière, quand je faisais une performance, Une histoire des histoires. et elle, justement, elle est passée par une école des beaux-arts, et là, elle est à l’ENSATT (17) à Lyon, qui est plutôt une école pour former... alors je sais plus si c’était... il y a un intitulé... euh, auteur... euhm... pas auteur de tragédie, ah ! auteur dramaturge !... dans sa formation, et elle a à écrire une pièce de théâtre cette année, c’est finalement le format... attendu. et, ce qui lui pose problème, aussi, c’est que c’est un format d’écriture qui doit se déployer sur une année … et qu’elle n’est pas du tout habituée à ce format d’écriture. tu vois... souvent, elle fait un premier jet, elle vient un peu – clac clac clac clac clac clac – ciseler les choses et puis – chhhhhut – c’était, euh.... c’est bouclé. et, elle me partageait sa difficulté à... euhm... de cette étendue-là en fait qui un peu... pas dissolvait... mais qui diluait l’énergie qu’elle a normalement à écrire. et du coup, elle se demandait comment l’écrit finalement s’écrit (sourire audible). quel est, en tout cas pour elle, le bon format, pour écrire des textes. et que souvent, pour elle, c’est lié à des voix, c’est-à-dire qu’elle compose davantage qu’elle n’écrit, pour des voix d’individus auxquels elle pense précisément.
2018_03_23_14h44.m4a
oui, coucou Camille. euhmm... je peux très bien comprendre les difficultés de ton amie. je pense que pour moi, ce ne sont pas des voix, ce sont plutôt des images qui me guident. enfin, je pense en particulier à cette nouvelle de science-fiction que je suis en train de... de... enfin, que je m’apprête à écrire... en fait, j’avais des images très fortes en tête, le début du récit s’est écrit quasiment tout seul... mais là, j’ai fait un plan, j’ai listé toutes les œuvres et donc là je me rends compte que ça devient peut-être trop méthodique... donc peut-être qu’il faut que je revienne un pas en arrière. et euuuuuh, quand tu évoquais le fait de produire de l’écrit à partir de situations courantes, et ça m’a fait penser aussi à cette vidéo d’Ismaïl Bahri, hyper belle, qui était au Jeu de Paume... c’était la dernière vidéo de l’expo, je ne me rappelle plus de son titre (18)... mais, euh... en gros, il filme une feuille de papier blanche qui est collée sur l’objectif de sa caméra et ça donne une composition de blanc cassé... euh... selon la luminosité, le vent..., tout ça... et en fait, il tourne cette vidéo à Tunis, et, et, les gens l’interpellent dans la rue, parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’il fait à filmer une feuille de papier blanche, et ça donne lieu à une sorte de critique d’art... et de critique sociale improvisée et euuuh... belle car très simple.
2018_03_28_12h30.m4a
salut Izi. euuhm. tu dis que tu ne sais pas s’il faut que tu rebrousses chemin ou que tu continues... euhm... je crois qu’il y a une chose, en fait, dans LES chemins, c’est qu’il y en a un qui est en fait celui du cœur et l’autre celui de la tête. euhm, c’est cette histoire. du... du juste ton de la voix, qui se trouve quand il y a une adresse précise... euuuhm... là, j’aimerais bien faire un mouvement, comme ça, de flèche traversante, tu vois, une direction forte qui s’établit. ... et ton envie d’une fiction, ces images-là, les flashs, c’est peut-être une direction de cœur que ta tête (rire) cherche à conformer pour n’oublier personne... euuh... ... enfin bref. je pense que le cœur peut prendre de la place, ce serait même bien qu’il en ait de plus en plus... puis voir, ce que ça fabrique. voilà... salut (sourire audible).
2018_03_29_11h43.m4a
coucou Camille. euh, tu parles d’une langue du cœur, de la tête, d’une langue du réel, du spontané, mais aussi de la langue... enfin de l’adresse personnelle et amicale, euh, et de la langue de l’art... en fait toute cette question de langues, ça parle finalement de la création de communs... et c’est marrant parce que, Benoît Sanfourche (19), dont j’ai pu te parler déjà lors de nos précédents échanges en 2016 (20) – et je suis ravie de pouvoir le refaire intervenir dans nos échanges - et en fait il m’a envoyé un courrier récemment, un courrier avec des textes qu’il me partage, des photocopies de livres... et voilà... une autre manière d’établir une communication et une réflexion commune. tout à fait en dehors des réseaux habituels... et donc il m’envoie un certain nombre de textes sur cette question des communs et la question de la traduction,... et notamment un texte, un extrait du livre de Philippe Descola, La composition des mondes (21), où il dit que finalement... (bruit de feuilles) la création du commun ce serait davantage une attention aux différences, aux accords et désaccords, aux zones de frottement et à ce qu’il appelle des effets de composition... donc peut-être en effet, plutôt que d’essayer de traduire ou de faire des sortes de synthèses un peu lisses, bah peut-être qu’il faudrait... trouver une langue … mmm... une nouvelle langue, une création d’un métissage, une sorte de créolisation entre tous ces champs lexicaux différents.
2018_03_29_12h30.m4a
salut Izi. euhm, peut-être qu’avant d’inventer une nouvelle langue, on peut juste peut-être accueillir... les langues que l’on a tous déjà développées... il y a aussi cette histoire-là de de... mmh, on parlait avec Michel, de Dector et Dupuy (22), la semaine dernière des voix à la radio... comment euhm, les voix avaient tendance à s’homogénéiser... je lisais ça aussi dans un bouquin, de David Le Breton, Éclats de voix(23), dans lequel il disait qu’il y avait une tendance à ... euhm.... à conformer sa voix, ou encore à gommer les accents pour rejoindre la plus grosse masse. et... je crois que c’est aussi peut-être ce qui se passe à l’écrit... parce que bah... on lit ça, alors on le reproduit. et moi j’aimerai bien qu’on accueille davantage ces variations-là de champs lexicaux... à chaque fois que je vois des gens qui manipulent des mots qui ne sont pas les miens, euh, je suis contente, parce que ça me permet de les introduire, tu vois, de pouvoir les incorporer... et même en termes syntaxiques, il se passe des choses un peu folles chez certains. et... dans l’espace de la page d’une revue... comment on peut traiter ces différents niveaux de langage... ne serait-ce que déjà avec les notes de bas de page - moi j’adore ça - ou les notes de marges, comment ça, ça vient compléter, ajuster, préciser... et là-dessus d’ailleurs, Laurence Cathala, elle a fait un beau texte, mmm, La première version (24), où elle parle justement de la disparition des livres. et j’aime bien comment ces deux niveaux-là, la note de marge et le texte,... viennent composer un même récit.
2018_04_16_18h30.m4a
ouais, coucou Camille... bah écoute, euuuhm, quand tu parles de notes de bas de page et de marge, c’est marrant, parce que là ce qui s’est passé ces deux dernières semaines, c’est qu’on... enfin, on ne s’est pas trop envoyé de messages dans le cadre de ce projet, mais on s’est envoyé des sms et qui SONT des notes de marges à cet échange qu’on a... et.... euuuuh... que ce soit le « vrai » message téléphonique que tu me laisses en me demandant d’enregistrer mes rêves au saut du lit, ou que ce soit... euh... ce petit extrait de texte que tu m’as envoyé sur la question des différentes voix qu’on a... la voix qu’on a au téléphone, la voix qu’on a quand on s’enregistre seule dans son bureau (sourire audible), la voix qu’on a quand on parle à un enfant ou à une personne âgée, la voix qu’on a quand on parle à nos confrères et pairs du milieu artistique, ou à notre famille, ou à notre amoureux. d’ailleurs, par exemple... et... quand je parlais de créer comme ça éventuellement une nouvelle langue, l’idée n’était pas que cette nouvelle langue soit un compromis, mais qu’elle soit un bricolage, en fait, avec, voilà, les moyens du bord, que ce soit maladroit ou pas, l’objectif étant de se rendre compréhensible. déjà, mais bon voilà déjà … moi ça me fait penser qu’au Luxembourg, là-bas tu as des francophones et les luxembourgeois qui sont plutôt germanophones et que...bah, ça nous arrivait en fait dans nos discussions de tous les jours, de faire des espèces de mélanges avec des mots français, de la syntaxe allemande et des mots anglais, et qui donnait... quelque chose qui en terme de rythme, et de couleur et de chaleur était assez... mmm... agréable. donc je pensais plutôt à ça, comme nouvelle langue.
2018_04_20_12h36.m4a
coucou ma petite Izi ! je suis bien contente de t’entendre, ça faisait vachement longtemps (grand sourire audible). et du coup je comprends vachement mieux maintenant cette histoire-là, de la création d’une nouvelle langue. en fait c’est aussi finalement essayer de partager toutes celles qu’on parle déjà. et ça, en fait..quoi, je suis contente que tu l’évoques, parce que c’est euhm... ce sont aussi des choses que j’aime manipuler, de savoir quels sont nos moyens de communication. et tu vois, là, à chaque fois que je te parle, je suis en train de bouger dans la pièce, parce que (rire, mouvement du corps audibles) je trouve que c’est plus simple d’être en mouvement pour parler aux autres. et même aussi, tu vois, là, il te manque mes mains qui te racontent des trucs et tout (sourire audible), et je ne sais plus si j’en avais parlé avec toi, de ces histoires là aussi du visage, des espèces de nota bene, comment le visage vient teinter des mots, euhm, retourner le sens... par un petit ...euh... là, j’ai les sourcils qui remontent tu vois (sourire audible). et du coup, je me disais aussi que là, nos sms étaient presque... peut-être aussi LA réponse, entre guillemets, à donner sur quelle est ta position vis-à-vis des artistes. comment toi, en tant que commissaire, tu aimes collaborer finalement avec les gens. c’était la... la place de l’amitié qui te semble... enfin qui me semble en tout cas finalement importante (sourire audible)... et comment cette amitié-là, finalement elle accompagne, euh, la fabrication de nouveaux projets et la poursuite des pensées. et que le sms est peut-être aussi un lieu qui est plus intime dans la hiérarchie des outils de communication. et qu’on pourrait mêler l’intime euh au.... au « prooofessioNNEL » (expression théâtrale)
2018_04_24_10h06.m4a
coucou Camille. je suis hyper contente que tu évoques cette notion d’amitié, parce que oui, c’est sûr que c’est quelque chose de très important pour moi. pas dans le sens forcément que je ne travaillerais QUE avec des gens qui sont dans mon cercle d’amis, mais euh... la complicité, de la compréhension, de la bienveillance, aussi c’est important, et surtout aussi cette idée de la construction dans la durée. euuuuuh... et c’est dans la durée justement qu’on complexifie et comprend ces différentes langues. aussi. et euh... et c’est marrant quand je t’entends parler, j’entends tes autres langues, je vois tes mains qui gesticulent, je te vois rire, parce qu’une voix justement, elle n’est pas du tout si immatérielle que ça, elle est rattachée à un corps, à une posture, à une expression faciale, et elle est, elle est... corps en fait, elle est INFORMÉE par le corps et par euh l’état d’esprit aussi. et des fois, dans les sms, – et ça c’est ce que je regrette un peu, bien que ce soit – ok – un moyen de communication qu’on utilise peut-être plutôt entre gens qui se connaissent, – moi je trouve que souvent c’est trop court, c’est sec, c’est mal écrit, en marchant dans la rue... alors qu’avec la voix, là, dans nos échanges – et on revient à cette question de temps et de durée – il faut prendre le temps d’écouter l’autre et il faut qu’on prenne le temps de répondre. je t’embrasse.
2018_04_30_14h43.m4a
salut Izi. écoute (bruit de vent)... eummh... en fait je pensais aux Suites pour marches péripatétitiennes de Johanna (25), et comment, finalement, tour à tour, tu offres 10 minutes, 15 minutes de ton attention à quelqu’un. et comment ce quelqu’un-là – peu importe qui il est – il a un temps pour parler et pour parler de ce qu’il veut.... et en fait ce contexte, ce cadre d’une DURÉE, en fait je trouve ça magnifique, parce que, là notamment, je marchais, puis j’avais une fille derrière moi qui s’est mise à parler de son amour de l’espagnol, qui était la langue de son cœur. et cette fille-là, je l’ai sentie, mais BRILLER dans mon dos (sourire audible) simplement parce qu’elle parlait avec son cœur. et je crois que finalement, dans, dans l’amitié (bruit de vent)... pardon pour le vent... finalement il y a aussi une histoire de cœur et de sentiments et d’émotions... et qu’on a... qu’on offre de la place à tout ça. et... et ça c’est... c’est ce qui était super beau, là, pour le dernier café 420(26), c’était de voir que les gens adoraient finalement réintroduire de l’humain dans le professionnel, et de... bah finalement de se rendre compte que ... quoi, euh voilà, de replacer... ouais, l’échelle humaine dans toutes les actions, et ça, ça fabrique … plein de petites merveilles.
(1) Grégory Castéra, Yaël Kreplak et Franck Leibovici, des récits ordinaires, Villa Arson, Nice, 2014. Vues de l’exposition et dessins-enregistrements de récits d’œuvres sur villa-arson.xyz/des-recits-ordinaires
(2) Aurélie Ferruel et Florentine Guédon scultpures et actions à parcourir sur ferruelguedon.fr
(3) Le Village est un lieu d’art contemporain installé en milieu rural à Bazouges-la-Pérouze, à 40 km au nord de Rennes. Leurs activités sont consultables sur le site association-levillage.org
(4) Shrek est un ogre vert issu d’un film d’animation réalisé par Andrew Adamson et Vicky Jenson sorti en 2001. Dans une scène, il se compare à un oignon qui comme lui, est composé de couches.
(5) Cyrus est un objet que l’artiste a dérobé à un ami. Tant que celui-ci n’a pas identifié de quoi il s’agit, cet objet sera présent dans des expositions, discrètement porté dans une poche. Documentation sur gbagency.fr
(6) La Criée est le centre d’art contemporain municipal de Rennes où s’est tenu un cycle d’expositions intitulé Alors que j’écoutais moi aussi... entre janvier 2017 et février 2018. Commissariat de Félicia Atkinson, Julien Bismuth, Sophie Kaplan et Yann Sérandour. criee.org
(7) Une histoire des histoires est un exercice de parole que Camille Bondon pratique depuis 2015
(8) Éditions et performances de Camille Bondon à voir et lire sur www.camillebondon.com
(9) Documentation des pièces sonores de Dominique Petitgand sur gbagency.fr
(10) Sophie Lapalu, Revue contée de la Criée à écouter sur duuuradio.fr
(11) cf. : note 6
(12) Julie Portier est critique d’art, enseignante et commissaire d’exposition. Vous pourrez la lire et la regarder parler en cherchant un peu sur internet
(13) Mise en mots, Camille Bondon en conversation avec Julie Bonnaud et Fabien Leplaë (2017) à lire sur
base.ddab.org/julie-bonnaud-fabien-leplae et sur jbflatelier.tumblr.com
(14) Le Wonder/Liebert est un artist-run space situé à Bagnolet. lewonder.com
(15) Isabelle Henrion, It’s a wonderful world, texte toujours en cours d’écriture...
16 Textes de Mathilde Segonds à écouter sur soundcloud.com/mathildesegonds et à lire sur besidestheland.blogspot.com
(17) Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Techniques du Théâtre
(18) Ismaïl Bahri, Foyer, 2016, visible lors de l’exposition monographique Instruments au Jeu de Paume à Paris. Extrait de la vidéo sur le site de l’artiste www.ismailbahri.lautre.net
(19) Benoît Sanfrouche est un artiste vivant aux alentours de Toulouse et qui refuse toute forme de documentation de son travail
(20) Isabelle Henrion, Chère Camille, 2016, descriptions audio d’œuvres d’art à écouter sur www.lamalterie.com/aer/residencecuratoriale
(21) La composition des mondes de Philippe Descola est paru chez Flammarion en 2014
(22) Dector & Dupuy, extraits de visites et autres événements saisissants dans l’espace public à découvrir sur
dector-dupuy.com
(23) Éclats de voix de David Le Breton est paru chez Métailié en 2011
(24) Laurence Cathala, La première version, 2014, à lire sur www.laurencecathala.net
(25) Johanna Rocard, Suites pour marches péripatétitiennes, (2017), protocole de marche collaborative à lire sur johannarocard.wixsite.com/travaux
(26) Le café 420 est un tiers-lieu artistique et nomade, imaginé par l’association rennaise La Collective depuis 2016. cafe420.lacollective.org
typographies : Helvetica
+ Lack de Adrien Midzic
pour velvetyne.fr
protocole et mise en forme :
Camille Bondon + Isabelle Henrion
carte blanche
in revue possible #3, 2018