entretien
Christine Herzer
avec Sally Bonn
LES MOTS, ÇA CACHE AUSSI
BEAUCOUP DE CHOSES, TOUT
COMME LES ENTRETIENS
Lieu de Travail, Couvent des Récollets, Paris.
J’ai rencontré Christine Herzer dans la rue, nous étions devant une galerie, elle est venue me parler. Elle m’a parlé de son travail et m’a dit de venir la voir, puis elle m’a donné un bout de papier épais sur lequel elle avait tracé au feutre rouge un peu épais son nom, son adresse et numéro de téléphone. Alors, plus tard, je l’ai appelée et suis allée la voir.
En entrant dans l’atelier/logement de Christine Herzer, ce que l’on voit, ce sont des mots. Il y a des mots partout: sur des tables, sur des chaises, sur des bouts de plastique, sur des post-it roses ou jaunes collés sur les murs. Il y a des phrases manuscrites, des déclarations, des adresses, j’en capte une, deux: « je pleure » « je m’adresse aux mots ». Des mots en tas colorés dessinés sur des cartons. C’est à la fois joyeux et grave.
Sally Bonn : Christine Herzer, tu es artiste, tu es poète. Ta pratique se développe par l’écriture manuscrite qui se dépose sur des feuilles volantes, sur des post-it, sur les murs, sur des sacs en plastique, sur les fenêtres, sur le sol, venant parfois jusqu’à saturer l’espace. L’écriture est en noir ou en couleurs et les mots écrits, en anglais, en français ou en allemand disent le quotidien, les choses vues, et celles éprouvées, les questions liées à l’existence, les émotions et les craintes. Des mots solitaires ou des poèmes, des listes ou des textes. Les mots sont ainsi accueillis, recueillis par le geste de la main qui trace et donne vie.
Une « écriture de dessins » - tu dis « I write drawings ».
Nous sommes ici installées dans ton atelier, tes mots partout autour de nous. Ton monde est celui des mots, tu évolues au milieu du langage. De la langue.
Alors, ma première question serait la suivante : Quelle est ta langue ? (et j’entends ma question non pas comme celle d’une désignation à une appartenance culturelle et géographique)
Christine Herzer : Oh j’aime beaucoup cette question, elle est magnifique. Je la vois écrite. Peut-être que je la vois en couleur. Je la vis depuis un moment, en la vivant, je m’approche de la réponse. Cette question a beaucoup d’espace, beaucoup de possibilités.
Puisque tu en parles, il me semble que l’espace est très important dans ton travail. Alors je voudrais que nous parlions de ta manière d’habiter le monde. Je pense à la fois à cette formule du poète Hölderlin « habiter poétiquement le monde », et je pense aussi au philosophe Gaston Bachelard, qui parlait lui d’une manière d’habiter le monde par le rêve. Je voulais que tu parles de ce qui serait ta manière d’habiter le monde et puis je me suis demandé quelle était ta
maison ?
Je ne m’attendais pas du tout au mot monde… pour la maison, je pense à Heidegger qui
disait que le langage est la maison de l’être.
Heidegger justement s’intéresse à cette formule de Hölderlin, « habiter poétiquement le
monde »…
Oui, « habiter poétiquement le monde », ça je sais que je le fais, depuis un moment. Peut-être la prise de conscience de ma façon d’habiter le monde, c’est d’avoir compris que je suis poète. I’m a poet. Ma façon d’habiter a généré cette évidence.
Habiter comme un poète, pour moi renvoie au mot mystère. Honorer le mystère, ça me semble très important.
Être en cohabitation avec quelque chose qui est là, et qui est tout aussi absent. Ce travail m’anime, me fait vibrer. Revenons à cette question de maison. J’ai perdu ma maison. C’est une perte personnelle, je ne voulais pas quitter l’Inde, c’était mon chez-moi, j’avais une maison. Cela voulait dire un endroit, beaucoup de fenêtres, surtout des clés, pour ouvrir, fermer la porte. Avoir une maison, c’est avoir une protection (je pense au mot safe ici), c’est pouvoir être seule. Sinon je n’entends rien (entendre dans le sens être).
Est-ce que ce qu’on fait, ça peut être une maison ? Faire dans le sens de créer. Est-ce qu’une façon d’être, ça peut être une maison ? Je suis une maison qui veut fabriquer son propre musée.
C’était un petit peu l’idée de ma question à propos de la manière d’habiter poétiquement le monde, je pensais à la fois à ce que ça veut dire d’habiter, ce que ça veut dire une maison, et je pensais à cette manière concrète, qui est ton espace. En regardant autour de nous, j’ai l’impression que les mots et les dessins de mots et les mots dessinés sont une espèce de couche de protection supplémentaire, il y a les murs de l’espace qui sont presque redoublés de langage. Ma question est abstraite, ouverte et en même temps concrète. Là par exemple, l’ouverture sur le monde, qui est la fenêtre, est quand même occupée par du langage, il y a une couche, de la même manière qu’il y a une couche sur tous tes murs, non ?
Ce que j’entends dans ce que tu dis, mais je ne suis pas sûre, c’est que les mots protègent, les mots sont une protection contre l’extérieur. C’est ça ?
Je ne sais pas, c’est une question que je pose. Parce que tu as plusieurs fois parlé de la maison comme un endroit qui protège.
Série Happy, 24 février 2020, Marqueur sur papier Canson, 19 x 24 cm.
Je n’aime pas le mot protection. La possibilité d’être seule me semble vitale, c’est un besoin. Qui comporte son propre paradoxe…
Donc la protection ce n’est pas vis-à-vis des autres, mais c’est la possibilité de la solitude ?
Qui vient être peuplée de mots, de mots des autres ?
Je ne vois pas la protection comme ça, je ne me protège pas des autres, je veux être dans la vie. Donc il y a des murs ET il n’y a pas de murs. Il y a les deux. Mais pour atteindre cela (cette équation avec une négation et sans négation), et donc pour faire le travail, donc pour être poète, pour écrire, (et c’est ce que je voulais dire par rapport à la solitude et à la protection), c’est avoir la possibilité d’être seule pour travailler. Si je n’ai pas cette possibilité, c’est impossible parce qu’il y a trop de bruits et mon travail demande une présence totale c’est peut-être dans ce sens là une protection qui me permet de ne pas me protéger justement, les deux à la fois.
Quand je te disais les mots des autres, c’était aussi cette idée que l’espace, cet espace de protection ou pas, c’est un espace qui protège ta solitude pour pouvoir faire entrer le monde.
Mais le monde est déjà là. Il est en moi. J’ai entendu un entretien avec Christine Angot. Elle disait « être là et ne pas être là ». Et je me suis dis, mais oui ! Quand j’écris, quand je travaille, je ne suis pas là, c’est ça l’idée, sinon je ne peux pas écrire. Concernant les dessins de la série Happy : il m’arrive de rater un happy. Je le rate parce que je suis là. Parce que je ne suis pas assez disparue. Peut-être que ma façon d’habiter me permet de ne pas être là. Et donc cet espace là me permet les deux. Être (dans le sens Dasein), c’est les deux.
Il y a dans tes dessins un rapport au mouvement, au geste. Les mots colorés se transforment en lignes ou en amas qui tombent, les lettres se détachent. Qu’est-ce qui tombe, qu’est-ce qui glisse ? est-ce que cela a à voir avec la gravité ? La pesanteur et la gravité au sens de ce qui est grave. Il y a un texte de Beckett qui s’appelle Tous ceux qui tombent. Autour de nous, ils tiennent, ils sont suspendus, mais il y a aussi pas mal de dessins où les mots glissent, et je trouve vraiment très beau ce mouvement de glissement, de chute, je voulais savoir ce qui animait ces mouvements.
Cette série est spéciale car d’habitude j’écris toujours au sol, mais j’ai réalisé cette série là sur mon lieu de travail de l’époque. J’étais assise derrière un bureau et j’attendais les appels. C’était une situation très violente, je me suis sentie sous attaque, sous language-attack. J’ai failli tomber. C’est une série à part.
Série The experience Drawings, 2017, Fuck You III, feutre sur papier Arches, 36 x 26 cm.
J’aimerais beaucoup te poser la question du geste, du geste d’écriture, et du rapport de ce geste au sens des mots, et la question de la trace, tout ça fait beaucoup, parlons déjà du geste. De ce que peut vouloir dire pour toi un geste d’écriture.
Je peux répondre par un exemple, parce que j’ai fait ceci il y a deux jours (elle montre un dessin où il n’y a pas de mots, seulement des traces colorées qui remplissent intégralement le papier) et je me suis interrogée, justement par rapport au geste. Avant de commencer, il n’y avait pas de mots, mais il y avait quelque chose, alors comment faire, comment dire une chose ? Comment dire mille choses en même temps ? Je voulais tout dire, mais il n’y avait pas UN seul mot, donc ce que j’ai fait– IMPROVISATION - j’ai pris 15 feutres dans une main et 15 feutres dans l’autre, en faisant un mouvement vertical de haut en bas. de bas en haut. Gratter. c’était intense, une intensité.
Tout le corps est engagé…
Le corps contacte, va vers quelque chose. Et pour toucher cela, l’essentiel, il me semble important d’être connectée, je ne sais pas si c’est la terre, le sol, ou – en tout cas, c’était ça le geste de travailler avec les deux mains - d’habitude c’est une main qui écrit -- et aussi de tenir beaucoup trop de crayons, j’aime bien expérimenter, et gratter c’est aussi inscrire un truc au sol, et peut-être que le sol m’aide, il reçoit, c’est solide, beaucoup plus solide que la table. Là, ça porte et ça résiste. J’ai besoin d’un antagonisme. C’est important. Je fais quelque chose, mais après j’attends un retour. Cela devient un dialogue, une conversation avec le sol peut-être. C’est ça, mon corps contacte/converse avec le sol.
Ce que je viens de dire est présent sur [ET dans] le papier. Je savais que je voulais dire quelque chose, et je savais les mots, non justement, l’absence des mots, et il fallait essayer d’écrire. Comment ? J’ai gratté.
Le verbe en grec pour l’écriture, graphein, c’est le même mot pour écrire et dessiner, et l’origine c’est gratter une surface. Là, j’aimerais bien que tu reviennes sur cette notion d’inscription dont tu viens de parler par rapport au sol. Qu’est-ce que ça veut dire pour toi d’inscrire les mots, les choses sur du papier ou sur d’autres surfaces, sur les murs, sur des vitres, etc. Qu’est-ce que ça a comme sens cette idée d’inscription ?
Au départ je ne l’avais pas pensée comme ça… même cette série Les feuilles de confinement ça me semble quand même être une inscription.
Le premier mot qui me vient à l’esprit, c’est besoin. En second, c’est nécessaire, mais pourquoi ? On oublie le mot pourquoi, le mot pourquoi n’est pas toujours très utile. Le mot pourquoi pèse. Pour moi, c’est un mot stressant. Je suis plutôt dans le comment. Inscrire comment ? J’ai des réponses, tu les vois déjà.
Ce comment de l’inscription, est-ce que tu peux le dire ?
Les dessins sont un comment. C’est comme des armes. On pourrait peut-être dire des armes.
J’adore le mot arme. Parce qu’en anglais c’est aussi le bras. J’inscris [par] mes bras.
Et il y a ça dans l’idée d’inscription ? À la fois le rapport au corps et à la guerre ?
C’est surtout une présence, une énergie, une façon d’être visible, de devenir visible ou de rendre visible quelque chose. L’idée est quand même de rendre visible. Le dessin, on peut le voir et aussi le lire. Voir et lire. On peut l’aimer aussi.
Série Les feuilles de confinement, 2020, feutres sur papier Canson, 270 x 170 cm, série de dessins écrits en français et en anglais, 65 feuilles à aujourd'hui, chaque feuille contient les titres de journaux tels que The New York Times, Le Huffington Post, le Parisien et le Monde, entamée en avril 2020, pendant la période de confinement. La série se poursuivra jusqu'à la fin de la pandémie.
Comment rendre visibles les blessures du langage ?, I LOVE LANGUAGE (détail), 2018, vue de l'exposition, atelier CO2, La cité des arts, Montmartre,
photo : A. G. Anne
Les éditions La Fabrique avaient publié un livre, Toi aussi tu as des armes, réunissant des textes entre poésie et politique autour de cette arme qu’est le langage. Quand tu es désarmé, quand tu n’as pas d’arme qui tue, le langage est quand même une arme. Je trouve que cette formule-là qui était le titre du livre, est très belle.
C’est ainsi que je vois les armes (montre ses bras et/ou l’espace?) comme des ailes et c’est quand même très émouvant.
Pour moi, l’important, c’est comment parler, comment dire ? Parler, je trouve ça hyper dur. Vraiment.
On parlait d’inscription et de geste et du rapport de ce geste au sens des mots.
Est-ce que la notion de trace est importante ?
Laisser des traces, tu veux dire ?
Je ne sais pas, comme tu veux l’entendre. Je dépose là le mot.
Imaginons un supermarché pour les mots, cette idée m’excite beaucoup, pouvoir acheter des mots, c’est un projet raté que j’avais en 2016. Ce n’était pas le supermarché, à l’époque, c’était une banque, donc j’ai imaginé une Language Bank, une banque de mots. L’idée était qu’on pouvait déposer ou retirer un mot ou plusieurs (comme on dépose /retire son argent).
Là, j’imagine un supermarché avec des mots et sur le rayon je trouve le mot trace que tu as déposé. Ça me donne envie de l’acheter, ce mot.
Est-ce que le mot trace … je réfléchis ... ça laisse des traces ?
La trace, c’est le mythe de Dibutade, l’origine de la peinture, cette jeune fille, son amant s’en va, elle veut garder une image, elle va tracer le dessin de son ombre, le contour de son ombre, elle prend un bâton et elle trace dans le sable. La trace c’est ce qui reste quand la chose n’est plus là, c’est quelque chose qui est de l’ordre du dessin ou du geste. On laisse une trace dans le sable, au sol, dans l’histoire…
J’ai envie de faire l’autopsie du mot trace, je me rends compte que je ne le connais pas très bien, donc je suis au début de ma relation avec le mot trace.
Il y a des mots avec lesquels j’ai une relation beaucoup plus forte, et pour celui-ci ce n'est pas encore le cas. Laisser une trace, c’est quelque chose de récent. Tout d’un coup je me découvre cette envie, ce désir. Parfois je suis tellement émue, je me dis : tout ce parcours , tout ce que t’as fait, c’est quand même fou. Donc si je suis honnête, j’ai tellement envie que mes œuvres soient vues. Et l’œuvre est une trace.
Oui, c’est ce qui reste, c’est ça dans la légende, lui il s’en va et elle a besoin que quelque chose reste et donc elle va faire une empreinte, elle garde sa trace.
Oui, là je pense que c’est beaucoup plus proche de moi que je m’en rends compte et je le dis parce qu’on peut aussi essayer de détruire les traces, ça aussi ?
Tout à fait.
Je vais prendre un exemple de l’Inde, je ne voulais pas partir et je ne pouvais pas prendre 12 ans de vie avec moi. La question s’est posée pour mes 69 cahiers. Je pensais les détruire. Je ne voulais pas les mettre dans un container, ni les laisser en Inde. J’ai d’abord pensé les brûler, mais le feu m’a fait un peu peur. Alors je me suis dit tu vas les noyer, j’ai essayé dans la baignoire (je me suis filmée), mais j’ai compris que non, alors j’ai arraché les pages, mais ce n’était pas ça non plus. Finalement, j’ai voyagé avec mes 69 notebooks. Je ne les ai pas détruits.
En ce qui concerne le geste : je me suis promenée sur mes cahiers que j’avais mis au sol, étalés à l’intérieur de mon appartement en Inde et sur le balcon, et avec les pieds nus j’ai marché sur les cahiers. Et puis j’ai érigé un mur et je me suis cachée derrière le mur fait de 69 notebooks . Zéro envie de les lire. Je voulais les blesser, ils [m’] ont résisté : Blessing !
J’avais une question qui n’est pas tout à fait une question. C’est une question que tu poses toi et je voulais te la rendre, te la retourner. Cette question, je l’ai vue, sous forme manuscrite et inscrite sur le papier puis accrochée, c’est : quelle est la fonction de la répétition en écriture, dans le langage et dans l’art ?
C’est un jeu, il s’agit de te retourner cette question, mais j’aimerais aussi quand même que tu me parles de la répétition qu’on trouve beaucoup dans ton travail.
C’est une question que je vis, que j’ai vécue. Et ça continue. Je l’ai vécue pendant les 14 mois à la Cité des arts, dans deux ateliers différents, je l’ai écrite à la main sur du papier de soie. C’est ma façon de vivre avec une question, il faut que je la voie chaque jour, que je l’habite. J’avais un livre de Camille Laurens, c’est un livre incroyable sur la répétition et j’ai commencé à écrire sur les fenêtres. Je prends beaucoup de notes, tout le temps, surtout sur papier, mais là j’ai pris des notes sur les vitres.
Ça s’est construit comme ça…A un moment donné Laurens dit « l’amour n’a pas peur de la répétition », ça m’a marqué, j’ai mis la phrase sur une vitre. Pour la tester.
Et c’est ainsi que je me suis dit, si je répète le mot happy - cela ne m’intéresse pas particulièrement d’être « happy », évidemment je ne suis pas contre, mais ça ne m’excite pas - est-ce que je vais le devenir ? Et donc, pendant une semaine, chaque matin je faisais un happy. Sur papier. C’était comme des tests, des expérimentations. J’ai répété. Je répète. Comme une actrice. Puis, je regarde et je me demande ce que ça peut me dire. Au bout de 6 mois, j’avais presque écrit l’équivalent d’un livre, mais sur les vitres .
Sur la même image, sous cette question-là, il y en a une autre et justement je trouve qu’elle met en perspective ce que tu dis sur le mot happy. C’était : comment rendre visibles les blessures du langage ?
Je suis émue, parce que tu m’as lue.
Je voulais te poser la question du sens de cette phrase. Et tu viens juste de me parler du mot happy en disant que tu ne cherches pas à être « happy », que ce n’est pas une préoccupation pour toi. J’aimerais bien alors savoir ce que tu entends pas « blessure du langage ». Est-ce que c’est le langage qui est blessé ou le langage qui blesse ?
Quand tu poses la question comme ça, c’est les deux. Moi, ce qui m’intéresse ce n’est pas le langage qui blesse, c’est le langage blessé.
C’est comme ça que je l’entendais, l’idée d’un langage blessé.
Parfois, j’ai envie de laver les mots. Le mot cœur, par exemple.
Les blessures du langage…
On pourrait imaginer qu’un mot a un corps. On sait qu’on peut blesser un corps donc on peut blesser un mot.
Les mots ont besoin de nous.
Mon rapport aux mots, au langage, est un miracle et un événement. Je ne m’explique pas cet amour que j’ai pour les mots. Moi aussi les mots m’ont blessée. Tout comme l’absence des mots peut blesser.
Et cet amour, c’est le même dans toutes les langues que tu parles ?
Le français a changé ma vie. Le français et Paris. C’était comme si j’avais déjà une lumière à l’intérieur de moi et on a allumé cette lumière. Paris m’a reconnue. Je me suis sentie chez moi. C’était physique. C’était le corps. Parce que je ressens les mots. Je trouve aussi le français très théâtral, ça me va bien. Je me sens vivante.
En allemand, je ne ressens pas les mots. C’est une autre sensation. Aujourd’hui je me rends compte que j’ai toujours aimé les mots. Aimer dans le sens désirer. En allemand aussi il y a des mots que j’aime. Aimer dans le sens admirer. Et qui sont revenus. Car les mots arrivent. Ce n’est pas une volonté d’écrire. Non, les mots arrivent et j’accueille le mot, puis le mot est là. Alors j’en suis contente et étonnée.
Je suis très fière de ma question, car c’est une question qui me permet de travailler. Les questions donnent un cadre ouvert. Je les vis. Je vais vivre cette question pendant très longtemps. Je ne vois pas du tout la fin de cette question.
Elle a une vie parce que tu interroges une possibilité. Et cette possibilité c’est ce que tu fabriques aussi.
Merci.
Les mots, ça cache aussi beaucoup de choses, tout comme les entretiens…et ça c’est magnifique, un trésor.
Écrire = habiter (de la série Ma langue comprenant cinq dessins), 2019, marqueur sur papier, 28 x 23 cm.