1000 signes
Si l’on s’interroge au sein de la revue Possible sur l’activité et la fonction du/de la critique d’art, notamment en tant que « métier » – pratique que nous ne partageons pas tou.te.s comme telle – une chose nous est commune et nous réunit : la critique, pour chacun.e de nous, déborde largement du temps de l’écriture et serait plutôt un mode d’être, que l’on pense à ce que l’on va bien pouvoir écrire lorsque l’on visite une exposition ou que l’on se promène en forêt, ou tout simplement que l’on partage avec des artistes nos regards sur leur travail, quelques-unes de nos dernières lectures enthousiasmantes et des amitiés.
C’est aussi pour cela que l’on souhaite ouvrir chaque Possible avec nos échanges, parfois triviaux, anecdotiques, mais faisant état de la propagation du champ de la critique dans nos vies, de nos visites d’ateliers à nos vacances d’été. La revue explore les possibles d'un geste qui nous semble nécessaire. Voici donc quelques propos sur certains jeux de la critique.
Quel jeu pour
la critique d'art ?
Elle fait près de cinq mètres de long et son poids doit sans doute se trouver proportionnel à son énormité. Ça craque, pétille, croule et craquette. Petit à petit, la matière, vivante, plie sous la force de la presse, le bois se tord et s’étire. Canto V de l’artiste Arcangelo Sassolino est ce que l’on appelle une emphase efficace. Un cantique d’images associant l’effet de la balade aux qualités mélodiques. Plus la presse œuvre, plus la tension des forces est palpable.
Plier sous les « je » et les « eux », n’est-ce pas l’une des affections supposées de la critique ?
Entre des interstices dictés et hallucinés, céder à la renommée, fléchir vers de nouvelles directions ou soumettre l’art à la question, courbant l’échine tantôt ou tantôt s’élever la voix avant de ployer sous les décences d’une époque. En se jouant en style, au son comme aux signes, les perceptions se déplacent en enjeux et grincent sous le mordant d’un ton ferme ou d’une escorte.
En définitive, jouer reste l’ensemble des alternatives qui n’avaient pas été retenues au départ par le créateur. Jouez ! Jouez critique ! Si c’est pour crouler sous les vertus de l’histoire, autant rompre avec les forces alliées, rabattre les bien-pensants comme les faux, passer de l’autre côté de la ligne blanche ou smasher ! Passer de l’autre côté ? Ne jamais tricher pour livrer absolument la vérité toute crue. Toujours tricher, symbolique et représenté mélangés, dans la seule fin d’assister aux rebonds des formes et des mots. La critique vaudra toujours mieux qu’une quelconque « règle du jeu ». À moins que la peau de l’ours, comme le vernis, ne soit pas si aisée à retirer…
Fanny Lambert
- Et toi (sous-entendu, toi « théoricienne »), tu n’as jamais envie de créer ?
- Il est vrai que j’aime par dessus tout passer mon temps dans les ateliers. Sentir l’odeur de la peinture fraîche et du bois. Voir les étincelles produites par la meuleuse au contact de l’acier. Voir se former les martyrs lorsque le foret perce la plaque. Les voir traîner çà et là. En retrouver au fond d’une poche. J’ai besoin du contact avec la matière, avec les espaces de travail. Mais je n’ai jamais d’autre envie que celle de faire : de tailler dans du bois, d’utiliser la visseuse, peu importe pour quoi. De toucher la terre, derrière un tour de potier ou dans un potager. Créer ? Non !
C’est toujours au moment où je formule ces phrases, plus ou moins en ces termes, que je me rattrape et me rappelle qu’en fait, ma pratique, c’est l’écriture. Qu’avec l’écriture, je dépasse le simple besoin d’inscrire des mots quelque part, de formuler une pensée, de dire. En écrivant, je pèse chaque mot. Je place chaque mot. Je les déplace ou les supprime, en fonction de ceux qui suivent et précèdent. Certains restent à leur place. Certains persistent, reviennent. Je cherche les manières de les agencer. Avec les mots, je compose. Je suppose que c’est un jeu. Que c’est le jeu de l’art*
* cf. le jeu de composition « Showdown », inventé par l’Atelier Rhème : http://atelier-rheme.fr/showdown/
Claire Kueny
le.a.critiquenestpasmalin.e.
On m'a dit, déjà, que c'était la seule carte à jouer pour qui n'a pas.
C'est autre chose, une stratégie.
Il y a toujours du jeu – trop grande facilité de mouvement, défaut de serrage entre deux pièces. C'est ce qu'il faut.
le.a. critique existe dans l'espace entre œuvre, industrie, académie et marché, se pratique en enfant : elle veut casser les objets bien vissés. le.a. critique est très étrange et très sérieuse, comme un gardien de temple, un fanatique, une muse, elle passe son temps à changer de costume, à fuir. le.a. critique cherche les sept erreurs entre deux images qu'elle veut voir coïncider, rajoute des points sur les dominos pour multiplier les options. le.a critique n'est pas compétitive et perd avec plaisir. le.m.a critique se joue des objectifs, elle se meut. le.m.a critique cherche à établir des règles pour les tricheurs. le.m.a critique, se jouant de tous les pions, cherche à fabriquer des espaces nouveaux, à ouvrir des portes. le.m.a. critique ne range pas derrière elle.
Clare Mary Puyfoulhoux
Game x Play
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Marion Zilio
Il y a quelques années, j’ai assisté à une conférence sur le jeu vidéo. Le chercheur qui la présentait a commencé par la simple phrase : « Y a-t-il parmi vous des gens qui ne jouent jamais ? » Il a ensuite énuméré : jeux de cartes, jeux de rôles, jeux de plateau, jeux de hasard, jeux de mots, jeux vidéo… À la fin de l’inventaire, j’ai été sidérée de constater qu’il y avait encore quelques personnes dans l’amphithéâtre qui continuaient à lever timidement le doigt. Je n’arrive pas à imaginer qu’il puisse y avoir certains de mes semblables qui, en bonne foi, pensent qu’ils ne jouent pas.
Chaque année, je conseille à certains ou certaines de mes étudiantes le texte d’Hervé Guibert intitulé « Les anneaux », dans lequel il décrit le jeu bien connu des amateurs de foires, et l’associe intuitivement à la photographie : « Est-ce que ce jeu, ce mouvement n’a rien à voir avec l’acte de prendre des photos ? On convoite un objet, et l’enjeu est dérisoire, on loupe son coup ou on fait mouche, les anneaux glissent, on n’attrape rien. » La remarque vaut sans doute pour la critique d’art.
Camille Paulhan
Les définitions du jeu sont souvent liées au divertissement, mais celle de la mécanique parle d’« … un assemblage, intervalle séparant les surfaces de deux pièces en regard ». Assemblage/Intervalle/En regard : ne retrouvons-nous pas des rouages de la critique d'art ? Comme le fait de proposer un intervalle de réflexion, en assemblant des idées en regard d'un contexte, d'autres œuvres...
Une pensée est souvent amenée à se déployer dans un cadre avec lequel on peut plus ou moins jouer. Les règles sont posées, mais il ne tient qu'à nous de les varier, de les re-visiter...
Ici, il est question de se pencher sur le « Jeu » dans un espace prédéfini : 1.000 signes. Contrainte donnée pour nous bousculer, contrainte donnée pour affiner nos réflexions, contrainte donnée pour plus de liberté. Thématique renforçant le cadre. Alors, Jouons ! En rédigeant, par exemple, un texte, notes de bas de page comprises, de 10.000 signes ou bien un texte de pile 1.000 signes.
Leïla Simon
Par quels mécanismes inconscients se fait-il que, lorsque j’entends le mot « jeu », je pense au Monopoly, et là, ça me déprime, direct […] comment peut-on trouver drôle de s’approprier des immeubles pour ensuite racketter ceux qui ont la malchance de devoir s’y arrêter, de les envoyer en prison sans passer par la case départ en les privant du fric qui leur revient de droit, puis faire semblant d’être milliardaire avec des tas d’atroces billets de 10 000, quelle horreur […] je repense aux quelques fois où, enfant, sous la pression du groupe, grands-parents, voisins, copines — Allez ! Viens jouer avec nous ! — j’ai dû spéculer sur des rues parisiennes que du fin fond de mes Alpes natales je n’avais jamais vues en vrai et qu’on m’a forcée à découvrir par leurs noms associés à des prix […] dépitée de ne pas pouvoir aller dessiner tranquillement comme j’en avais l’envie […] peut-être que déjà, d’autres activités échappant possiblement à l’esprit capitaliste, propices à la rêverie, comme l’est parfois l’art, m’attiraient bien plus.
Vanessa Morisset